En septembre 2018, Burgundy au féminin a organisé une discussion profonde et fascinante entre Kathleen McLaughlin (responsable en chef du développement durable et présidente de la fondation chez Walmart) et Anne Maggisano, vice-présidente, relations client chez Burgundy. Voici les moments les plus mémorables de ces échanges sur la durabilité, la promotion de changements de comportement auprès des entreprises et des consommateurs, et l’optimisation de la valeur pour les actionnaires.
Anne Maggisano – En matière de durabilité, comment la stratégie de Walmart a-t-elle évolué depuis votre arrivée en 2013?
Kathleen McLaughlin – On est souvent surpris d’apprendre que Walmart a énoncé dès 2005 les ambitieux objectifs suivants : s’approvisionner à 100 % en énergie renouvelable, produire zéro déchet et vendre plus de produits durables. Ces objectifs ont été fixés juste après l’ouragan Katrina, alors que la direction de Walmart était en train de gérer ce désastre. L’année précédente, nos dirigeants avaient, par tout hasard, discuté avec des représentants de l’Environmental Defense Fund et de Conservation International des mesures que prenait Walmart à l’égard des enjeux environnementaux et sociaux.
À l’automne 2005, notre chef de la direction, Lee Scott, a fait un discours sur la durabilité qui a déclenché un raz-de-marée au sein de l’entreprise. Une fois l’orientation donnée, chacun s’est immédiatement mis au travail.
AM – Quel a été votre rôle dans la promotion de la politique de Walmart en matière de durabilité? Avez-vous pressé le mouvement ou changé l’orientation initiale?
KM – À mon arrivée chez Walmart, l’entreprise en faisait déjà beaucoup en ce qui concerne l’énergie, les déchets et d’autres enjeux. À l’échelle mondiale, un tiers de l’énergie qu’utilise Walmart provient de sources renouvelables; nous visons 50 % d’ici 2025 et nous ne nous en tiendrons pas là. Aux États-Unis, nous avons diminué d’un peu plus de 80 % les déchets produits par nos activités.
Ce qui a surtout changé depuis cinq ans? Notre approche est plus systémique et plus intégrée – qu’il s’agisse de climat, de déchets ou de questions sociales. Nous prêchons par l’exemple et nous travaillons avec de nombreux autres intervenants pour changer les manières de faire. C’est le même genre d’approche que l’on suit pour résoudre les problèmes dans toute entreprise commerciale : innover, miser sur la technologie, adapter les processus, changer les méthodes, les comportements et les mentalités, et modifier les rouages économiques. En agissant ainsi sur l’ensemble du système, nous avons accéléré les retombées sociales et environnementales.
AM – Vous dites que la durabilité n’est pas seulement la bonne chose à faire pour la société, mais que ça augmente aussi la valeur de l’entreprise Walmart, ce qui, en fin de compte, profite aux actionnaires. Mais encore?
KM – Je parle ici de transformation fondamentale. Il ne s’agit pas seulement de poser quelques ampoules DEL et de diminuer les dépenses en énergie. Oui, nous économisons, mais nous obtenons aussi de nouvelles sources de revenus. Quand nos magasins recyclent le carton et le plastique, c’est de l’argent qui rentre : nous vendons ces matières au lieu de payer pour les faire enfouir.
En outre, nous changeons radicalement la donne économique en délaissant l’approche linéaire, qui consiste à extraire toutes les ressources de la planète, à les consommer au maximum puis à les jeter. Cette approche n’est pas viable économiquement et ne peut durer éternellement. Réutilisées à d’autres fins, les matières génèrent une valeur supplémentaire. Il faut passer à une économie circulaire, ce qui exige un changement de comportement de grande envergure – à l’échelle du système.
Il faut transformer le modèle économique et, plus précisément, les modes de production et de consommation. Sans cela, comment maintenir la croissance? Les solutions environnementales, sociales et économiques doivent fonctionner de pair.
AM – Comment Walmart voit-elle l’affectation de capitaux aux projets qui visent la durabilité à long terme, mais qui risquent de nuire à la rentabilité à court terme?
KM – Il y a toujours des compromis à faire. Prenez l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Nous avons des ampoules DEL, des systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation, et une liste de propositions longue comme le bras, mais nous ne pouvons financer qu’une partie de ces projets chaque année. Ils viennent en concurrence avec l’achat de supports pour la lingerie et le réaménagement des magasins. Chacun veut sa part de capitaux. Il faut trouver des solutions économiques, et heureusement, beaucoup des projets que nous proposons sont très rentables et donc convaincants.
AM – Que fait Walmart en matière de changements climatiques?
KM – Depuis 2005, nous avons réussi à réduire d’un tiers notre empreinte carbone mondiale, tout en étendant nos activités. Nous dissocions la croissance des émissions.
Aux États-Unis, nous avons consacré 10 ans à doubler l’efficacité de notre parc de véhicules. Un très gros effort! Avec Peterbilt et Cummins, nous avons cherché à rendre les moteurs plus performants. Les données recueillies par les instruments de bord ont appris aux chauffeurs à quelle vitesse ils roulaient et quel en était l’impact sur la consommation d’essence. Nous avons repensé l’arrière des camions, chargé les colis différemment et revu la charge maximale. La charge a aussi diminué parce nous utilisons désormais moins d’emballages. Notre objectif a ainsi été atteint et le rendement du parc de véhicules a doublé.
Bref, rien de tel à présent qu’un camion Walmart pour livrer une caisse de denrées! Seulement, il utilise encore de l’énergie fossile. Nous voulons nous tourner vers d’autres formes d’énergie pour nos véhicules utilitaires lourds (électricité, piles à hydrogène et autres). Walmart Canada s’est engagée à n’utiliser que des carburants de remplacement d’ici 2028. Nous devrions avoir le temps de monter le projet pilote, de mener les essais, d’étendre la formule et finalement de convertir toute l’infrastructure.
Nous avons commencé avec Tesla. Nous avons commandé 40 camions électriques au Canada. L’expérience aidant, nous nous adresserons aussi à d’autres acteurs et, peu à peu, nous atteindrons l’objectif.
Il est important que la demande émane de Walmart et d’autres grands détaillants. Si nous réclamons tous un changement et que nous nous engageons à long terme, les autres suivront et la transformation se fera plus vite.
AM – Selon vous, la durabilité est un enjeu au sein des activités de Walmart, mais aussi tout au long de la chaîne de valeur. Les partenaires sont un facteur important, et il incombe à Walmart d’améliorer les pratiques de durabilité partout dans le monde. Concrètement, à quoi ça ressemble?
KM – Prenons simplement les émissions : elles proviennent à plus de 95 % de la chaîne d’approvisionnement. Quand nous commercialisons un shampoing Unilever, nous demandons à Unilever de nous expliquer comment elle le fabrique, quelle quantité de plastique elle utilise, etc.
Nous analysons le cycle de vie pour chaque catégorie d’articles. Nous travaillons avec The Sustainability Consortium (TSC), qui rend compte de l’impact de la consommation sur les forêts, l’eau et autres ressources naturelles. Beaucoup de détaillants et de fournisseurs sont représentés au sein de cet organisme. Son « indice de durabilité » tire de l’analyse du cycle de vie les 12 aspects clés de chaque catégorie de produits (crevettes, thon, poulet, textiles tissés ou synthétiques, appareils électroniques, bref, absolument tout). Les aspects examinés sont d’ordre environnemental et social : climat, qualité de l’eau, conditions de travail – tout y passe.
Nous envoyons à nos fournisseurs des questions liées à chacun de ces aspects pour connaître leurs résultats et leurs pratiques. TSC compile les données et nous les communique. Nous savons ainsi qui ressort du lot et qui est à la traîne.
AM – Qu’est-ce que le cycle de vie et les enquêtes vous ont appris sur la chaîne de valeur des fruits de mer?
KM – Dans cette chaîne de valeur, Walmart a fait beaucoup de progrès concernant la durabilité environnementale, mais de grands problèmes subsistent. Par exemple celui du travail forcé, dans le cas des crevettes. Au tout début de la chaîne, il y a ces pêcheurs d’Asie du Sud-Est qui attrapent le poisson de rebut dont on nourrit les crevettes d’élevage, lesquelles sont vendues à un grossiste, puis à un courtier, puis à un fournisseur pour enfin être achetées par les détaillants. C’est une chaîne d’approvisionnement très fragmentée : à la base, elle met en jeu une multitude de petites embarcations de pêche et de travailleurs. Que fait-on, quand on s’appelle Walmart, Loblaw ou Sobeys? Walmart a pour sa part commencé par analyser la prévalence du travail forcé et les incidents qui en découlent, puis a cherché les causes profondes et les remèdes possibles.
La fondation Walmart a financé une étude de prévalence et une mission axée sur la justice internationale en vue de faire le point sur les problèmes de main-d’œuvre observés en Asie du Sud-Est et de trouver des solutions. Nous avons appris que bien des gens qui s’emploient sur des bateaux de pêche à Bangkok ou au Myanmar, par exemple, doivent payer des droits exorbitants pour obtenir un passeport – dans certains cas, on ne sait trop qui touche l’argent. Les gens empruntent ou économisent ici et là, puis finissent par s’endetter de 2 000 $ ou plus. Ce n’est pas tout : leur passeport est souvent confisqué et ils restent en mer pendant six mois.
L’étude a aidé le secteur à comprendre que les modes de recrutement sont à la source du problème. Walmart s’est alors jointe à un organisme sectoriel, le Leadership Group for Responsible Recruitment. De nombreux détaillants, fournisseurs et promoteurs de la justice sociale agissent de concert et financent des études en vue de trouver où va l’argent. C’est ce genre d’initiatives que nous mettons en œuvre et ce rôle que nous jouons : participer aux discussions, rassembler, mettre en lumière les problèmes et encourager d’autres acteurs à se joindre à nous.
La fondation Walmart a financé le Sustainable Fisheries Partnership, qui a installé des systèmes de surveillance sur les bateaux de pêche afin de comprendre ce qui se passe le long de la chaîne de valeur. Les travailleurs disposent désormais de numéros d’urgence, de sites d’alerte confidentiels et d’applis connexes. La fondation a également contribué au financement d’une appli en birman, « Golden Dreams ». C’est un peu le Yelp de ceux qui cherchent du travail; l’appli leur permet d’échanger des tuyaux sur les emplois offerts. Notre approche diffère grandement du modèle traditionnel (« Je suis le détaillant, tu es le fournisseur, vends-moi des crevettes, je te fais un chèque »). Une grande partie de mon rôle consiste à convaincre d’autres détaillants à se joindre à nous.
AM – Votre mandat est également axé sur les possibilités économiques qui sont liées à l’avancement des femmes.
KM – C’est une priorité majeure. À l’échelle mondiale, environ 30 % de nos cadres supérieurs sont des femmes, une proportion légèrement plus élevée que la moyenne des entreprises du S&P 500. Évidemment, notre cible est de 50 %. Nous continuons à travailler en ce sens.
Comment? D’abord en agissant sur notre propre bassin de talents, puis en soutenant le perfectionnement des talents, aussi diversifiés soient-ils, à l’extérieur de Walmart grâce à notre programme philanthropique. Au sein même de l’entreprise, nous mettons en place un vaste programme visant à refaçonner notre système pour soutenir l’inclusion, tant par le recrutement et l’embauche, les cours de perfectionnement et la formation sur les partis pris implicites. À l’extérieur de Walmart, nous avons investi 100 millions de dollars afin d’accélérer la mobilité des travailleurs de première ligne dans le commerce de détail et les secteurs connexes.
Notre bassin de fournisseurs constitue notre deuxième angle d’attaque. Un bon de commande de Walmart, c’est une forme de capital de croissance : il offre des possibilités pour les gens d’affaires, pour les PME et pour les entreprises respectueuses de la pluralité sociale. Entre autres objectifs, nous avons décidé que nos approvisionnements auprès d’entreprises dirigées par des femmes atteindraient 20 milliards de dollars sur cinq ans – objectif atteint! Pour chaque catégorie de produits, nous nous demandons : qui sont les fournisseurs? Pour quelles catégories semble-t-il y avoir plus de femmes entrepreneures? Comment les soutenir? Quels sont les obstacles?
L’un de ces obstacles, c’est l’accès au capital. Souvent, la dirigeante d’une petite entreprise qui veut la faire croître ne peut réunir le capital voulu, parce qu’elle ne reçoit pas de grosses commandes. Pourquoi? Parce que les détaillants n’ont pas la certitude qu’elle est de taille à fournir les quantités demandées. C’est un cercle vicieux. Nous avons donc créé une alliance de fournisseurs et convenu avec les banques que si quelqu’un leur montre une lettre d’intérêt signée par Walmart, cela suffit pour accorder les fonds demandés pour l’expansion. Cette mesure a porté ses fruits. À Atlanta, par exemple, une simple vendeuse de tortillas est devenue ainsi un de nos grands fournisseurs nationaux. Aujourd’hui, elle emploie 3 000 travailleuses.
Nous cherchons aussi à intégrer la philanthropie au sein de la chaîne d’approvisionnement. Dans quels secteurs et dans quels pays se trouvent les actrices? Dans l’agriculture, dans le commerce de détail? En Chine, en Afrique? Quels sont leurs besoins? Notre objectif est de former un million de travailleuses en usine, en connaissant les possibilités de perfectionnement qui s’offrent à elles et en mettant la philanthropie au service de leur avenir. Un bon investissement!
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